Le dépôt de marque de mauvaise foi
Récemment, la jurisprudence de la Cour de Justice de l’Union européenne s’est penchée, à nouveau, sur la question de la mauvaise foi lors du dépôt d’une marque. Ce motif de mauvaise foi est une arme redoutable afin de faire annuler une marque car cette mauvaise foi sera considérée comme faussant la concurrence. De plus, si la mauvaise foi est reconnue, il sera possible de faire tomber la tolérance acquise dans le cadre d’une action en nullité.
Bien qu’au centre de nombreux litiges, cette notion de mauvaise foi n’a pourtant pas été définie dans le droit de l’Union. L’arrêt Chocoladefabriken Lindt[1] a néanmoins délimité les contours de la notion de mauvaise foi. Au cœur de ce litige, la société de fabriquant de chocolats suisses, Lindt, réputée depuis plus de 50 ans pour ses chocolats en forme de lapin, de couleur dorée, portant un nœud rouge. La société est devenue titulaire de la marque tridimensionnelle pour ce lapin. Le litige met en cause la similitude entre le lapin de Lindt et le lapin de Franz Hauswirth, étant aussi doré avec un ruban rouge. Lindt a dès lors utilisé du pouvoir de sa marque afin d’attaquer Franz Hauswirth en contrefaçon. C’est dans le cadre de ce litige, que Franz Hauswirth a émit une demande reconventionnelle, avançant que Lindt aurait déposé sa marque d’enregistrement pour son lapin de mauvaise foi.
La Cour de Justice a été saisie avec la question préjudicielle suivante: « L’article 51, paragraphe 1, sous b), du règlement n° 40/94 […] doit-il être interprété en ce sens que le demandeur d’une marque communautaire doit être considéré comme agissant de mauvaise foi lorsqu’il sait au moment de l’enregistrement qu’un concurrent dans (au moins) un État membre utilise une marque identique ou similaire prêtant à confusion pour des produits ou services identiques ou similaires et qu’il fait enregistrer la marque pour pouvoir empêcher le concurrent de continuer à l’utiliser? »
En premier lieu, la Cour de Justice a mentionné que la juridiction nationale doit prendre en considération tous les facteurs pertinents propres au cas d’espèce qui existent au moment du dépôt de la demande d’enregistrement d’un signe en tant que marque communautaire.
Ensuite, elle a jugé que la mauvaise foi doit être analysée en prenant en compte trois facteurs :
1. le fait que le demandeur sait ou doit savoir qu’un tiers utilise, dans au moins un État membre, un signe identique ou similaire pour un produit identique ou similaire prêtant à confusion avec le signe dont l’enregistrement est demandé ;
2. l’intention du demandeur d’empêcher ce tiers de continuer à utiliser un tel signe ;
3. le degré de protection juridique dont jouissent le signe du tiers et le signe dont l’enregistrement est demandé.
Finalement, la Cour a jugé que « La notion de mauvaise foi visée à l'article 52, paragraphe 1, sous b), du règlement n° 207/2009 se rapporte à une motivation subjective de la personne présentant une demande d'enregistrement de marque, à savoir une intention malhonnête ou autre motif dommageable. Elle implique un comportement s'écartant des principes reconnus comme étant ceux entourant un comportement éthique ou des usages honnêtes en matière industrielle ou commerciale ».
Dès lors, l’intention d’empêcher la commercialisation d’un produit peut caractériser la mauvaise foi du demandeur lorsqu’il s’avère que ce dernier a fait enregistrer un signe en tant que marque sans avoir l’intention d’en faire usage, et ce, uniquement en vue d’empêcher l’entrée d’un tiers sur le marché[2].
L’article 4 de la Directive UE 2015/2436[3] mentionne qu’ « une marque est susceptible d'être déclarée nulle si sa demande d'enregistrement a été faite de mauvaise foi par le demandeur. Un État membre peut aussi prévoir qu'une telle marque est refusée à l'enregistrement ».
Finalement, la Convention Benelux ainsi que le Règlement sur la marque de l’Union européenne[4] prévoient que le dépôt d’une marque pourra être annulé si le dépôt de mauvaise foi concerne une marque antérieure non enregistrée qui est notoirement connue. L’accord ADPIC a par ailleurs précisé que la notoriété de la marque en question sera prise en compte dans la partie du public concerné pour l’appréciation de l’existence de la mauvaise foi du demandeur.
Ecrit par Valentine Maisse
[1] CJCE., arrêt, Chocoladefabriken Lindt & Sprüngli AG c. Franz Hauswirth GmbH, 11 juin 2009, C-529/07, EU :C :2009 :361.
[2] CJUE, arrêt, Sky plc e.a. c. Skykick UK Limited et Skykick Inc, 29 janvier 2020, C-371/18, EU:C:2020:45.
[3] Directive (UE) 2015/2436 du Parlement européen et du Conseil rapprochant les législation des États membres sur les marques, J.O.U.E., L 336/1, 23 décembre 2015.
[4] Règlement (UE) 2017/1001 du Parlement européen et du Conseil du 14 juin 2017 sur la marque de l’Union européenne, J.O.U.E., L 154/1, 16 juin 2017.